Curiosités


par Manuel Hirtz et Harry Morgan 
extrait du fanzine Mangazone, 2ème semestre de 1992

 

Paru originellement à partir d'avril 1975 dans Nakayoshi, Candy Candy dessiné par Yumiko Igarashi et écrit par Kyoko Mizuki, fut l'un des grands succès de la bande dessinée sentimentalo-mélodramatique japonaise. La série ayant été popularisée en France par l'entremise des 115 épisodes du dessin animé télévisé, l'éditeur japonais kodansha prit une décision des plus logiques en le proposant aux petites lectrices françaises dans une présentation populaire et à un prix démocratique.

Vendu sous forme de neuf livres de poche, Candy Candy fut distribué en maisons de la presse et en grandes surfaces. Stratégie commerciale très bien adaptée à ce type de produit, qui, malheureusement pour l'éditeur, se heurta à des problèmes de distribution qui grippèrent la machine (les volumes 4 et 5 en particulier, semblent avoir disparu dans une faille du continuum spatio-temporel). Kodansha est néanmoins allé au bout des neuf volumes, et l'amateur se trouve donc à la tête de presque deux mille pages de ce classique du shojo manga (bande dessinée pour filles). De quoi y est-il question?

 

Adoption, éducation et mise en condition

L'action se situe en Amérique, puis en Angleterre, puis en Amérique à nouveau, au début du XX siècle. Enfant trouvée, Candy est élevée dans le petit orphelinat de la sympathique Melle Pony et de la bienveillante Soeur Maria. Elle est une sorte de garçon manqué, prompte à grimper aux arbres, mais agrémentée par ailleurs de toutes les vertus féminines.

Sa première grande peine est de voir partir, pour être adoptée par une riche famille, sa meilleure amie, Annie. Ce jour là, elle voit dans la lande un énigmatique jeune homme jouant de la cornemuse. Il devient son "prince de la colline", figure fantasmatique, incarnation de son idéal, et qu'elle cherchera à travers tous les hommes dont elle s'éprendra. Plus modestement, le prince de la colline sera son premier amour, mais n'anticipons pas.

Candy est adoptée à son tour par la famille Legrand, vaste tribu régie par un mystérieux oncle William, que l'on ne voit jamais, et par délégation de signature, par la revêche tante Elroy. Candy est d'emblée détestée par la vieille tante, et brutalisée par Daniel et Eliza, deux horribles petits monstres méprisants, capricieux et hypocrites plus que tous les moutards réunis de tous les romans de la Comtesse de Ségur. Bref, de fille adoptive, Candy deviendra bientôt fille de cuisine, puis... garçon d'écurie, comme le petit Heatchcliff avant elle dans Les Hauts de Hurlevent.

Les cousins Alistair et Archibald, deux frères, adorent l'orpheline. Et puis, il y a un troisième cousin, Anthony, qui a tout l'air d'être le prince de la colline, y compris le kilt et la cornemuse.  Lors d'une promenade aux environs de la propriété, Candy manque de se noyer. Elle est sauvée par un mystérieux jeune homme, monsieur Albert, sorte de Blanche-Neige au masculin, qui vit en ermite avec ses amis les petits animaux. Candy et monsieur Albert deviennent très amis. 

De retour chez les Legrand, Candy est injustement accusée de vol par Eliza et Daniel, bien entendu, et on l'envoie dans une ferme au Mexique. Mais les trois cousins parviennent à la faire revenir et à la faire adopter par la famille André. Puis c'est le drame, Anthony meurt dans un accident de cheval. Candy est désespérée par la mort de son "prince". Elle retourne pour un temps à la maison Pony, puis est envoyée à Londres, dans une école des plus prestigieuses, mais où règne une discipline de fer. Elle y retrouve Annie, qui, cachant sa condition initiale d'enfant trouvée, fait semblant de ne pas la connaître : nouveau crève-coeur !

Bien entendu, les infects Daniel et Eliza sont envoyés dans la même école et peuvent continuer à persécuter l'orpheline. Alistair et Archibald sont là aussi. Quant à monsieur Albert, il a trouvé un job au zoo de Londres.

L'école contient aussi le dandy Terrence, dédaigneux de la discipline, qui cache (mal) le secret de sa naissance illégitime (maman est une actrice célèbre qui a fauté). Bien entendu, Candy et Terry découvriront (lentement) qu'ils s'aiment.

Nous sommes à peine au troisième volume et la lectrice n'a encore rien vu ! 

 

Vocation, séparation et guerre

On s'en rend à peine compte, mais tout ce petit monde grandit au fil des volumes. Après des vacances écossaises et différentes péripéties, tout le monde rentre en Amérique. Candy découvre sa vocation d'infirmière. Elle en bave des ronds de chapeau comme il se doit, sous la direction d'une infirmière-chef diabolique, se met en ménage (en tout bien tout honneur) avec monsieur Albert devenu amnésique et plus ou moins suspect d'espionnage, est renvoyée de l'hôpital pour mauvaises moeurs (à tort), croit découvrir son mystérieux bienfaiteur, l'oncle William, mais ce n'est pas le bon.

Terry fait ses débuts au théâtre, retrouve Candy et la reperd car il épouse par devoir une actrice qui lui a sauvé la vie et qui a perdu une jambe (!) ce faisant. Terry deviendra alcoolique et acteur de beuglant avant de reprendre du poil de la bête et de faire la carrière que l'on sait. (hum!)

Entre deux coups durs, Candy retourne à la maison Pony. 

Le duo Daniel-Eliza continue à la persécuter, mais moins efficacement. A part ruiner sa réputation, il n'y a pas grand chose qu'Eliza puisse faire à Candy.

Quant à Daniel, il s'amourache de l'orpheline et veut la violer, ou l'épouser, ce n'est pas très clair. 

Nous avons oublié de dire que c'est la guerre. Le cousin bricoleur, Alistair, génie précoce, encore qu'un peu brouillon, qui s'est expédié dans la mare aux canards pendant six volumes aux commandes de son coucou de bois balsa, va se faire tuer sur le front, pour de bon, dans un vrai avion de la Première Guerre Mondiale, par un vrai sale boche. Pas de doute, nos amis sont devenus grands.

Il faut se résigner à conclure. Candy trouvera le bonheur avec son monsieur Albert, parce que figurez-vous que le mystérieux william, c'était lui, il se cachait, le bougre, on ne saura jamais vraiment pourquoi.

 

Des petites filles, par des petites filles, pour des petites filles

Fondamentalement, Candy Candy relève du roman d'apprentissage. Sur la dynamique petite orpheline planent les ombres du David Copperfield de Dickens, de Heidi grandit de Johanna Spyri, et de "Après la plui, le beau temps" de la Comtesse de Ségur. Nous suivons l'héroïne de sa naissance à l'âge adulte, et la voyons faire la découverte des différents aspects de l'existence tout en conservant son caractère. Elle accumule les expériences heureuses et malheureuses, découvre et affermit sa vocation d'infirmière, rencontre l'amitié, l'amour et la zone intermédiaire, l'amitié amoureuse. 

D'autre part, comme le mentionnent fort justement les auteurs du précieux Shonen Shojo managa besuto 100 (Bunshun Bunko, 1992, en japonais), cette histoire de mystérieux oncle William, qui se révèle être le monsieur Albert que Candy voit tous les jours, ressemble beaucoup à certaines comédies de Fred Astaire ou au roman de Jean Webster qui l'a inspiré, Daddy-long-legs (Papa-longues-jambes, bibliothèque du chat perché, un vrai chef d'oeuvre). L'ouvrage que nous venons de citer, mentionne une autre source, Anne aux pignons verts (Anna of the greengables de Montgomery).

A part ça, nos auteurs usent de toutes les ficelles, ne ratant aucune des scènes à faire pour le plus grand plaisir des lectrices, ou leur plus grand chagrin. Les morts, en particulier, sont très réussies, et sauf si vous êtes complètement insensibles ou complètement idiots (ou les deux), vous ne pouvez pas ne pas pleurer à la mort d'Anthony (d'autant plus brutale qu'elle intervient tôt dans la fiction et que la lectrice ignore encore que les auteurs s'autorisent de tels coups de théâtre), ou la disparition d'Alistair, le cousin aviateur. (Annoncée, celle-là, comme nous l'avons dit, par ses multiples chutes comiques. Ce retour au "drame" et à la "vraie vie" est un pur, c'est sur, effet de mélodrame). Entre deux drames, des intermèdes burlesques et simplets aident à détendre l'atmosphère tandis qu'une galerie de personnages pittoresques apportent leur fantaisie.

 

Loin des yeux, près du coeur

Candy ne perdra jamais, au long des neuf volumes, l'habitude de grimper aux arbres. Assise sur une branche, elle passe des heures à rêvasser et à méditer. Le proverbe japonais : saru mono hibi ni utoshi (celui qui s'en va est ignoré de jour en jour) : c'est à peu près notre "loin des yeux, loin du coeur", est pris à contre-pied par Candy. Avec elle, ce serait plutôt loin des yeux, près du coeur.

La fiction d'Igarashi et de Mizuki repose sur une véritable économie de la séparation et de la réminiscence. Candy passe son temps à se souvenir des gens qu'elle a connus, se remémore les joies et les peines de son existence, s'interroge sur ses sentiments. Elle se place ainsi, d'arbre en arbre, en marge du récit de sa propre histoire et en fait l'inventaire. Toute la fiction est recyclée périodiquement, sur un mode quasi incantatoire.

Il est pertinent de noter que les "hors-d'oeuvre" des ouvrages (pages de garde, appendices), présentent sous forme de portails, les cercles successifs des "chers absents" de Candy. Premier cercle, celui des tableaux de famille, c'est à dire, les personnages qui font toujours partie de la litanie du souvenir : Annie, l'amie d'enfance, les frangins rigolos Archibald et Alistair, les persécuteurs Eliza et Daniel, la vieille tante, le mystérieux oncle william.

Second cercle, celui des photos souvenirs, c'est à dire, des gens dont l'évocation n'est qu'occasionnelle : des gens de rencontre, un  paysan veuf chez lequel Candy a passé quelques jours, un rude loup de mer qui lui a permis le passage en Amérique, un petit passager clandestin. Comme la vie est longue, ces visages de rencontre sont nombreux.

Certains personnages passent de l'un à l'autre des cercles ou oscillent à leur frontière (Patricia, la copine de collège timide qui, significativement, ne figure pas dans les tableaux en début de volume), tandis que le prince des collines, image obsédante et quasi hallucinatoire du mâle idéal, flotte en arrière plan. 

Cette manie de la réminiscence sert également à étager la fiction en fonction du temps. Les personnages grandissent ou vieillissent insensiblement. Le rappel d'un souvenir de leur tendre enfance est donc le meilleur moyen de faire mesurer à la lectrice le chemin parcouru. "Comme le temps passe !" s'exclament ensemble Candy et son public.

Enfin, la réminiscence devient parfois envahissante, et pèse alors de tout son poids sur les actions des personnages. Pendant qu'ils tombent dans les bras l'un de l'autre dans l'appartement de Broadway, Candy et Terry voient défiler (presque) tous les moments de joie et de peine au collège anglais.

 

Confusion et compassion

La lectrice européenne s'amusera évidemment de ce que les supposés-Américains ou supposés-Anglais de la fiction ont de fondamentalement japonais, jusque dans leurs attitudes. Par exemple, Candy s'excuse beaucoup. Même si on lit la traduction française,  on perçoit nettement que l'étiquette en vigueur dans la série est japonaise. Un critique occidental pourrait relever aussi l'éloge constant de l'effort et du sacrifice, deux mots qui, en français, sont devenus presque grossiers. 

Le message des auteurs en réalité, c'est que l'homme est responsable de son destin. Les personnages de Candy font ou on fait des choix. En cela, nous disent Mizuki et Igarashi, ils sont respectables. 

Il s'ensuit généralement un regard bienveillant sur les êtres. Le médecin presque clochardisé dont Candy devient un moment l'assistante, est décrit avec compassion (la compassion bouddhique, pas la charité chrétienne) et son alcoolisme le rend plutôt pittoresque (ce qui n'empêchera pas Candy de verser, d'autorité, de l'eau dans son vin).

Dans le même ordre d'idées, on a un peu l'impression que les auteurs distinguent deux courants dans le christianisme anglo-saxon, une voie bouddhique, symbolisée par la maison Pony, et une voie shinto, représentée par le célèbre pensionnat londonien et son austère mère supérieure.

 

Lapsus et anachronismes

On n'en finirait pas de relever les fautes de civilisation dans Candy Candy. La maison André, qui possède beaucoup de banques et d'usines à Chicago, a apposé son blason sur tous ces édifices. Ce blason est très proche du "mon" (ou sigle familial) japonais mais... très éloigné des habitudes occidentales. 

La tante Elroy fait trempette dans l'étang de son château. Un tel comportement chez une bourgeoise de l'époque, l'assimilerait à une excentrique, pour ne pas dire une aliénée (mais on connaît par ailleurs la manie du bain des japonais). 

Si on en vient aux détails, en particulier ceux tenant à l'éducation et à la religion, la faute et l'anachronisme deviennent flagrants aux yeux de toute lectrice européenne, même très jeune. Candy, il faut bien le dire, se promène dans une Amérique et une Angleterre de supposition. Par exemple, un pensionnat mixte à Londres, avant 1914, n'est guère crédible. 

La dessinatrice se montre d'une ignorance abyssale dans des détails d'architecture pour nous élémentaires. Le fameux collège de Londres a tout l'air d'être logé dans une église. Plan d'église aussi ou du moins d'hospice, ou de couvent, ou de chapelle centrale, enfin, pour l'orphelinat de mademoiselle Pony. Cela devient même une manie puisque la colonie de vacances écossaise du volume 4 est logée à la même enseigne.

La mère supérieure Grey a tout l'air de dire la messe elle-même, au moins dans une scène. Ou bien, si c'est une réunion de prière, du moins, la dirige-t-elle de derrière l'autel. Et ne parlons pas de l'anachronisme des costumes, des coiffures, des accessoires tels que lunettes, montres, etc... clairement en avance sur une soixantaine d'années sur l'époque évoquée! Le victorianisme de la dessinatrice, à l'évidence, c'est celui de la mode rétro. Il s'agit de suggérer un côté vaguement rural et désuet, à grand renfort de casquettes trop larges, de pantalons de golf, de jupons apparents et de tabliers à carreaux. 

Cette conception "nostalgia" de l'Europe d'il y a un siècle est, du reste, un poncif des mangas et en particulier, des mangas pour filles. Il suffit pour s'en persuader d'ouvrir n'importe quel numéro des revues Mimi, Margaret, Lala, etc.

De sorte que, somme toute, ce qui est le plus d'époque dans Candy Candy, ce sont encore les poncifs de l'intrigue. Machine aime machin mais ne peut évidemment pas le lui dire. Et comme lui ne peut pas deviner... Médaillon, passé mystérieux, naissances illégitimes et la guerre de 14 qui vous fait de bons amnésiques sont au rendez-vous. 

On aurait tort de plaisanter d'ailleurs, et il y a, au milieu du brouet, des notation psychologiques pas fausses. Candy se montre très fâchée qu'on lui donne du madame au marché (alors que sa cohabitation avec M. Albert commence, à la longue, à lui sembler scabreuse). Et Albert de lui expliquer que les commerçants disent madame à toutes les ménagères. 

De même, les rapports des fillettes entre elles sont assez justement décrits (la période "pensionnat londonien" est probablement ce qu'il y a de meilleur dans la série) et on sent que la scénariste a versé dans ces histoires de petite et grande amitié de ses souvenirs.

 

Rêve et référence

Les auteurs s'arrangent d'ailleurs, on ne sait trop comment, pour jouer de leurs faiblesses, et les criantes absurdités de la documentation donnent paradoxalement à Candy Candy un surcroît d'âme, un coté rêve éveillé. La guerre de 14, par exemple, fort discrètement évoquée (et on comprend que cela vaut mieux, d'après le très peu que nous en montre Igarashi!) prend des allures d'un cauchemar impalpable qui menace, on ne sait pourquoi, tous les personnages, où qu'ils se trouvent. Et s'il faut venger les auteurs du reproche de mauvaise documentation, notons ici une possible source de Terry qui, dans la fiction est l'enfant naturel d'une actrice célèbre, Hélène Baker.

Le choix de ces noms évoque immédiatement Ellen Terry, la grande actrice victorienne, dont Lewis Carroll fut à un moment presque un intime. Or la grande Ellen Terry a effectivement défrayé la chronique. Après un mariage désastreux avec le peintre George Frederick Watts, elle connut le bonheur (adultérin) avec l'architecte Edward Godwin et eut une fille et un fils (naturels).

Dans la vraie vie, l'enfant de l'amour deviendra le célèbre metteur en scène Gordon Craig, réformateur de la scène théâtrale. Terry est-il Gordon Craig ? L'idée est piquante en tous cas, même si les auteurs ne la développent pas.


Edward Gordon Craig

 

Des passions d'adultes dans des corps d'enfants

La stratégie des auteurs est simple : une fois la situation initiale posée (l'orpheline délurée, ses persécuteurs, ses alliés) et exploitée au maximum, on déplace les personnages, on les réunit en un autre lieu, et on recrée les rapports à l'identique. Tout le monde part pour le collège en Angleterre. Tout le monde passe les vacances en Ecosse. Tout le monde rentre en Amérique. 

Candy diffère dans cette mesure des orphelines de la bande dessinée occidentale, les Little Orphan Annie, Little Annie Rooney, et autres Belinda Blue Eyes, à qui leur absence d'attache permet d'endosser tous les rôles, dans des séries d'aventures dont on ne sait plus si elles se succèdent ou si elles sont parallèles. Chez Candy, ce refus du picaresque ne peut que renforcer le "réalisme" de l'histoire et rendre plus crédible l'analyse psychologique. 

Reste que ce parti-pris du "on prend les mêmes et on recommence", s'il répond parfaitement à l'économie de la réminiscence que nous mentionnions plus haut, est en contradiction avec une fiction où les personnages prennent de l'âge.

Ainsi, la scénariste a du mal à maintenir en selle Daniel et Elisa, les juvéniles persécuteurs de Candy. Elisa est désarmée à partir du moment où Candy répond à ses méchancetés sur le mode humoristique (les fillettes n'ont alors guerre plus de douze ans) au point qu'on se demande si victime et bourreau n'auraient pas, de ce moment, échangé leurs rôles. Quant à Daniel qui, vis-à-vis de Candy, passe directement de la persécution au harcèlement sexuel, il nous paraît bien un peu ridicule, parfait exemple de puberté difficile.

Il eût fallu, somme toute, plus de culot à la scénariste et qu'elle consentit à ce que les adultes réglassent les comptes de leur enfance. On attend en vain dans Candy Candy, ce qu'en musique on nomme la résolution, et dans le drame le dénouement. Le modèle littéraire ici, serait Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë. Ce roman dont Virginia Woolf faisait observer qu'il était le premier roman anglais dont les personnages ne soient pas sortis d'une maison de poupée -- il est frappant de noter qu'il est ancré dans l'enfance, qu'il ne met en scène, somme toute, que des enfants grandis. Mais ces enfants ont d'emblée des passions d'adulte, à en juger en tous cas par leur violence. Il est vrai, ce serait peut-être beaucoup demander d'une bande dessinée pour fillettes.

 

Stratégies et orages

L'intrigue (répétitive) n'est au reste dans Candy Candy que le prétexte à de grandes envolées lyriques, propres au shojo manga, à grand renfort d'images morcelées, où nous contemplons le soleil qui se couche, les feuilles emportées par le vent, la pluie qui redouble ou se calme, tandis qu'invariablement le retour à la réalité (c'est à dire au drame, de préférence en fin de volume) est concrétisé par une image unique en double page, vue en plongée, sur la brutalité d'un fond noir. Gouttelettes de rosée (ou de larmes), pétales de roses, (notons que la dessinatrice nous montre non seulement les roses mais aussi les rosiers), feuilles mortes, et rubans de brumes nous permettent de pénétrer le mystère de l'âme féminine. Et peu importe si Candy marche comme Astro le petit robot et tous comptes faits, ressemble rarement à une fille.

Le mode de consommation d'une telle fiction est tout à fait spécifique. Il est très rare qu'une image contienne plus d'un élément d'information, réplique ou action. Très rare donc, qu'on ait besoin d'y regarder à deux fois. Au point que quand (volume 6) Candy monte à l'arbre tandis qu'en bas son ami lui crie bravo, on a brusquement l'impression d'une narration confuse.

Tout est donc fait pour susciter une lecture rapide, sur le mode de la dévoration concentrant les péripéties, les émotions et le suspense. Les neufs volumes vous font à peu près une semaine de métropolitain.